Défis juridiques et stratégies pour la protection de la biodiversité en Colombie : vers une transition économique verte

Par Daniel Peña Valenzuela, associé chez Peña Mancero Abogados

I. Introduction

Le cadre constitutionnel colombien établit la protection de la biodiversité comme un devoir fondamental de l’État et un droit de tous les citoyens (derecho fundamental y colectivo). En tant que l’un des pays les plus riches en biodiversité au monde, la Colombie est confrontée à un défi juridique et politique complexe : comment concilier sa richesse écologique avec les impératifs de la croissance économique, du commerce international et du développement rural. L’expansion de la frontière agricole, l’émergence des marchés bioéconomiques et l’essor de l’écotourisme en tant qu’outil de financement de la conservation exigent une réponse juridique cohérente. 

Cet article examine les mécanismes réglementaires, institutionnels et fiscaux nécessaires pour transformer la biodiversité, qui est actuellement un atout vulnérable, en un pilier stratégique de la transition économique verte de la Colombie.

II. Frontière agricole et instruments juridiques pour une utilisation durable des terres

La récente mise à jour de la frontière agricole colombienne révèle un total de 42,9 millions d’hectares, un chiffre qui souligne à la fois l’ampleur du potentiel productif et l’urgence d’une intervention juridique. Cette frontière recèle de vastes zones de sols dégradés ou sous-utilisés qui, s’ils étaient reconvertis dans le cadre juridique approprié, pourraient accueillir des systèmes agroforestiers, des modèles sylvopastoraux et des cultures pérennes telles que le cacao, le caoutchouc, l’huile de palme certifiée et le bois à cycle long. Ces transitions ne sont pas de simples innovations agronomiques ; il s’agit de transformations juridiques qui nécessitent des règlements de zonage, des licences environnementales et des instruments d’aménagement du territoire conformes à la loi 99 de 1993 et aux mandats du Système national de l’environnement (SINA).

La justification juridique de la promotion de ces transitions repose sur leur capacité à réduire la déforestation, à augmenter la productivité par hectare et à permettre l’accès aux marchés internationaux qui exigent une durabilité vérifiable. Le règlement de l’Union européenne sur la déforestation (EUDR), qui s’appliquera aux grandes entreprises colombiennes en 2025 et aux petites et moyennes entreprises colombiennes en 2026, impose des obligations strictes de diligence raisonnable aux importateurs de produits de base tels que l’huile de palme, le soja, le cacao et le bois. Les producteurs colombiens doivent donc adopter des systèmes de certification et des protocoles de traçabilité légalement reconnus afin de rester compétitifs et conformes.

III. Systèmes de certification : pertinence juridique, complexité opérationnelle et intégration au marché

Les systèmes de certification sont de plus en plus considérés non pas comme des normes volontaires, mais comme des instruments juridiques d’accès au marché et de conformité environnementale. La Colombie doit institutionnaliser et étendre plusieurs systèmes de certification, chacun ayant des exigences juridiques, techniques et opérationnelles distinctes. La Table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), par exemple, exige des producteurs qu’ils fassent preuve de transparence, de responsabilité environnementale et de respect des droits des communautés. Cela implique une vérification juridique du régime foncier, le respect des protocoles de consentement libre, préalable et éclairé (FPIC) et l’alignement de l’ sur les lois nationales en matière de foresterie et d’environnement. Dans des régions telles que Meta et Chocó, où l’expansion de la culture du palmier à huile empiète sur les territoires ethniques et les zones post-conflit, la certification RSPO doit s’accompagner de garanties juridiques solides afin d’éviter l’expropriation des terres et la dégradation écologique.

De même, la certification Bonsucro pour la production de canne à sucre met l’accent sur la productivité, les droits du travail et l’impact environnemental. En Colombie, sa mise en œuvre doit tenir compte des complexités liées au respect du droit du travail, aux permis d’utilisation de l’eau et à la réglementation des pesticides sous la supervision de l’Institut colombien de l’agriculture (ICA) et de l’Institut national de surveillance des aliments et des médicaments (INVIMA). La Table ronde sur le soja responsable (RTRS), qui exige une production sans OGM, zéro déforestation et une responsabilité sociale, pose des défis juridiques supplémentaires, notamment en ce qui concerne l’harmonisation de ses normes avec le cadre réglementaire colombien sur les organismes génétiquement modifiés et les évaluations d’impact environnemental.

VI. Traçabilité et gouvernance des données : établir un cadre juridique pour la durabilité

La traçabilité est le pilier juridique de la certification. Sans systèmes robustes permettant de géoréférencer les parcelles, de surveiller la production et de vérifier la conformité, les certifications perdent leur crédibilité et leur force exécutoire. La Colombie doit légiférer sur un système national de traçabilité qui inclut la cartographie géospatiale obligatoire des parcelles de production, reliée aux registres cadastraux et environnementaux. Ce système doit garantir l’interopérabilité entre les ensembles de données publiques, tels que ceux gérés par l’IGAC, l’ICA et l’ANLA, et les données du secteur privé, tout en respectant les principes de protection des données consacrés par la loi 1581 de 2012.

Les protocoles de vérification doivent être normalisés et reconnus juridiquement, y compris les audits par des tiers, les technologies de télédétection et les systèmes basés sur la blockchain. Ces mécanismes doivent être réglementés par la Superintendencia de Industria y Comercio afin de garantir la transparence, la responsabilité et la confiance des consommateurs. Il est essentiel que le cadre juridique prévoie des incitations et une assistance technique pour les petits et moyens producteurs, qui risquent d’être exclus des marchés formels en raison des coûts élevés et de la complexité de la mise en conformité. Cela comprend des systèmes de certification subventionnés, des procédures de déclaration simplifiées et des protections juridiques contre les pratiques commerciales discriminatoires.

V. Bioéconomie : instruments juridiques pour l’innovation, l’équité et l’accès au marché

La richesse biologique de la Colombie offre une occasion unique de développer une bioéconomie centrée sur les ingrédients naturels, les bio-intrants, les biomatériaux et les composés bioactifs pour la santé et les cosmétiques. Pour libérer ce potentiel, l’État doit adopter et appliquer des instruments juridiques qui favorisent la protection de la propriété intellectuelle, l’accès et le partage des avantages (APA) et les partenariats public-privé. Le cadre juridique doit garantir que les brevets et les droits sur les variétés végétales pour les composés bioactifs sont protégés en vertu de la décision andine 486 et de la législation nationale sur la propriété intellectuelle, tout en garantissant que les communautés bénéficient de la commercialisation des ressources génétiques conformément, entre autres, au protocole de Nagoya.

Les partenariats public-privé doivent être structurés juridiquement de manière à faciliter le co-investissement dans la recherche et le développement, le transfert de technologie et l’incubation d’entreprises bioéconomiques. Cela nécessite l’articulation de plans sectoriels, de documents CONPES (documents de politique publique) et d’incitations fiscales à l’innovation. La rationalisation de la réglementation est également essentielle : les procédures d’enregistrement des intrants biologiques et des produits naturels auprès de l’INVIMA et de l’ICA doivent être simplifiées afin de réduire les obstacles à l’entrée sur le marché. 

VI. Écotourisme et conservation : conception et application de la réglementation

L’écotourisme, lorsqu’il est structuré juridiquement, peut servir de mécanisme financier pour la conservation de la biodiversité et le développement inclusif. Les composantes juridiques doivent inclure des limites applicables en matière de capacité d’accueil par destination, des plans de gestion environnementale contraignants et des normes pour la conception des infrastructures, la gestion des déchets et l’utilisation de l’eau. 

Les chaînes de valeur locales doivent être encouragées juridiquement par des avantages fiscaux, des programmes de formation et un accès préférentiel aux zones protégées. Des mécanismes de surveillance et d’application doivent être mis en place pour empêcher les pratiques touristiques prédatrices qui dégradent les écosystèmes et la réputation. Les zones protégées, les territoires autochtones et les réserves privées doivent être régis par des normes juridiques claires qui équilibrent l’accès et la conservation. Le tourisme nature, s’il est structuré juridiquement, peut devenir un mécanisme d’autofinancement pour la protection des écosystèmes et un générateur d’emplois dignes.

VII. Mécanismes de financement : vers un fonds vert légalement obligatoire

Le financement de la biodiversité nécessite une conception juridique sobre. La Colombie peut réserver une partie des recettes supplémentaires provenant de l’exploitation minière légale et des taxes prévues pour la transition énergétique à un fonds vert national. Ce fonds devrait être légalement mandaté pour soutenir les paiements pour services environnementaux (PSE), les subventions pour la certification et la traçabilité, la restauration des bassins versants et le contrôle territorial contre l’illégalité. Les coûts de certification et de traçabilité doivent être cofinancés par des instruments juridiques qui favorisent l’équité et l’inclusion. Les investissements dans les infrastructures écologiques doivent être réglementés par la loi 99 de 1993 et la politique nationale de l’eau, tandis que le contrôle territorial doit être soutenu par des cadres juridiques pour les procureurs environnementaux, les gardes forestiers et les observateurs communautaires.

VIII. Conclusion : légiférer sur la transition verte

Afin de consolider la transition de la Colombie vers une économie fondée sur la biodiversité, le pays doit adopter une feuille de route juridique structurée qui articule la réforme réglementaire, le renforcement institutionnel et l’innovation fiscale. Cette feuille de route doit s’appuyer sur des mandats constitutionnels, des obligations internationales et des priorités nationales en matière de développement, et doit être mise en œuvre par le biais d’actions coordonnées au niveau législatif, exécutif et territorial.

La Colombie doit promulguer une loi nationale sur la transition vers une utilisation durable des terres, établissant des critères juridiques pour la reconversion des sols dégradés en systèmes agroforestiers, sylvopastoraux et de cultures pérennes. Cette loi devrait définir les conditions d’éligibilité, les garanties environnementales et les incitations pour les producteurs qui adoptent des pratiques zéro déforestation. Elle doit également intégrer des mécanismes de reconnaissance juridique des systèmes de certification et leur intégration dans les protocoles environnementaux d’octroi de licences et de commerce.

Le pays doit légiférer sur la création d’une infrastructure nationale de certification et de traçabilité. Cela inclut la reconnaissance juridique de normes internationales telles que RSPO, Bonsucro et RTRS, et la création d’un registre public des producteurs certifiés. Une loi complémentaire devrait rendre obligatoire la création d’un système national de traçabilité, avec des dispositions relatives à la cartographie géospatiale, à l’interopérabilité des données et à la vérification par des tiers, afin de garantir le respect du règlement de l’Union européenne sur la déforestation et d’autres exigences commerciales émergentes.

La Colombie doit adopter un cadre juridique pour la promotion de la bioéconomie. Cela comprend des lois sur la protection de la propriété intellectuelle pour les composés bioactifs, des mécanismes d’accès et de partage des avantages alignés sur le protocole de Nagoya, et des incitations fiscales pour la recherche, le développement et le transfert d’ s technologiques. Le cadre devrait également inclure des voies réglementaires simplifiées pour l’enregistrement et la commercialisation des intrants biologiques et des produits naturels, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.

Le pays doit réformer ses lois sur le tourisme et la conservation afin de permettre à l’écotourisme de devenir un mécanisme légalement structuré de financement de la conservation. Cela implique de mettre à jour la législation environnementale et touristique afin d’y inclure des limites applicables en matière de capacité d’accueil des visiteurs, des plans de gestion environnementale obligatoires et des normes relatives aux infrastructures et à la prestation de services. Les instruments juridiques doivent également promouvoir les entreprises touristiques communautaires et garantir un accès équitable aux zones protégées.

La Colombie doit légiférer sur la création d’un fonds vert national, financé par une partie légalement réservée des recettes provenant des taxes légales sur l’exploitation minière et la transition énergétique. Ce fonds devrait être régi par une loi spécifique qui définit ses objectifs, sa structure de gouvernance et les dépenses éligibles, y compris les paiements pour les services environnementaux, les subventions pour la certification et la traçabilité, la restauration des bassins versants et le contrôle territorial contre la criminalité environnementale.

La feuille de route doit inclure des dispositions transversales pour la coordination institutionnelle, le renforcement des capacités et la participation publique. Cela comprend la création de comités intersectoriels, des mandats légaux en matière de transparence et de responsabilité, et des mécanismes de consultation avec les communautés autochtones, afro-descendantes et rurales.

En résumé, la biodiversité de la Colombie doit être protégée non seulement par des déclarations politiques, mais aussi par des instruments juridiques exécutoires qui concilient l’intégrité écologique et les opportunités économiques. La transition vers une économie verte nécessite un cadre juridique solide qui transforme la biodiversité en une source de productivité, d’équité et de résilience. Le moment est venu de légiférer pour assurer cet avenir.

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