Patrimoine Culturel de la Nation en Colombie : Concept, Antécédents et Développement Jurisprudentiel

Par : Juan Simón Larrea Cáceres et Daniel Peña Valenzuela

Le patrimoine culturel renferme la mémoire des peuples ; il est l’essence même de la nation, et l’État doit en protéger l’accès par une protection, une préservation et, le cas échéant, une restitution adéquates.

En Colombie, il reste encore beaucoup à faire pour sensibiliser la population à l’importance de la construction collective de notre nation et pour parvenir à une véritable identité qui nous soit propre. La Constitution de 1991 a profondément modifié la structure de l’État colombien et a intégré une multitude de figures qui, à ce jour, plus de 30 ans plus tard, continuent d’être classées et élargies au-delà de la vision de ceux qui les ont proposées il y a environ trois décennies. En particulier, le patrimoine historique, documentaire, archéologique et culturel de la nation continue d’évoluer grâce aux progrès de la science et de la culture qui permettent d’étendre ces concepts aux biens corporels (documents et manuscrits, œuvres d’art), aux biens incorporels (festivals de musique et expressions du folklore), parfois protégés par des droits de propriété intellectuelle tels que les signes distinctifs et les brevets, ou aux connaissances ancestrales et traditionnelles telles que les rites des identités minoritaires qui intègrent la même essence que les groupes ethniques.

Comme précédent à l’article 72 de la Constitution de 1991, on peut citer la proposition faite par María Teresa Garcés Lloreda, déléguée à l’Assemblée nationale constituante, qui disait ceci : « Le respect et la protection du patrimoine culturel de la Nation et de chacune de ses régions et groupes ethniques sont garantis. La loi établit les moyens de sa préservation et punit toute personne qui le viole. »

Au sein de la première commission de l’Assemblée constituante, la déléguée María Mercedes Carranza a qualifié le mot « culture » de précepte à visée éducative et a souligné la nécessité d’élargir son champ d’application afin d’exiger de l’État une plus grande protection par le biais d’incitations pour les travailleurs culturels et l’inclusion et la promotion de la culture dans les plans de développement. De même, le délégué Juan Carlos Esguerra a souligné la nécessité d’obtenir la compétence pour empêcher la destruction de l’héritage précolombien et lutter contre l’ignorance. Dans le même ordre d’idées, les délégués Diego Uribe Vargas et Otty Patiño Hormaza ont souligné que le développement culturel doit être protégé dans la Constitution, car il est le moyen de parvenir à un plus grand développement économique.

Le texte final, corollaire de la discussion à l’Assemblée, est libellé comme suit :

Art. 72 : « Le patrimoine culturel de la Nation est sous la protection de l’État. Le patrimoine archéologique et les autres biens culturels qui constituent l’identité nationale appartiennent à la Nation et sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles. »

Si le changement est évident en termes de spécificité de la protection de l’État, l’élargissement du contexte et les effets juridiques découlent de la nature de la protection du patrimoine culturel de la nation. Pour rappel, le titre II de la Constitution de 1886 stipulait que la nation colombienne était reconstituée en tant que république unitaire et que la religion catholique était un élément essentiel de l’ordre social, de sorte que seuls les cultes et pratiques qui n’étaient pas contraires à la morale chrétienne étaient acceptés.

La loi générale sur la culture, loi 397 de 1997, en développement de l’article 72 susmentionné, considère que le patrimoine culturel de la nation correspond à un ensemble de biens qui comprend tout, des biens matériels aux représentations de la culture traduites dans les langues ou dialectes de différents types de communautés indigènes, afro, créoles et palenqueras, entre autres. Elle regroupe la tradition et toute manifestation présentant un intérêt historique, scientifique, culturel, archéologique, symbolique, esthétique, musical, testimonial, politique, littéraire et/ou muséologique.

Dans le cadre de l’évolution de la jurisprudence, la définition récente du patrimoine public proposée par la dixième chambre spéciale du contentieux administratif du Conseil d’État le 1er février 2022 définit le patrimoine public comme :

« l’ensemble des biens et ressources, quelle que soit leur nature, qui appartiennent à l’État et qui lui servent à l’accomplissement de ses missions, conformément à la législation positive. Il s’agit, outre le territoire, des biens publics et fiscaux, des biens incorporels, des droits et intérêts qui ne sont pas soumis à une évaluation monétaire et qui appartiennent à l’ensemble de la population, des biens corporels et incorporels ou difficilement identifiables tels que le patrimoine culturel de la Nation, le patrimoine archéologique, les biens qui constituent l’identité nationale et l’environnement. »

Une distinction subtile peut être établie entre le patrimoine public et le patrimoine culturel de la nation, ce dernier étant compris comme un type du premier, qui est le genre parmi les classifications ou catégories d’actifs appartenant à l’État. Une autre façon de les différencier pourrait être la valeur économique de chacun, en ce sens que le patrimoine public a un rendement économique et une exploitation comme élément naturel, tandis que le patrimoine culturel de la nation mérite d’être protégé et préservé. Même ainsi, cette classification ne serait pas exclusive, car les deux universaux peuvent être protégés ou exploités pour le bien commun, avec une attention particulière à leur préservation et à leur non-détérioration.

En résumé, le concept original de patrimoine culturel doit continuer à être développé à travers des lignes jurisprudentielles qui permettent la différenciation, la catégorisation et la classification de tous les éléments qui composent les différents types de patrimoine, ainsi que leur préservation et leur protection par des personnes physiques ou morales, et qui jouissent d’une valeur constitutionnelle et d’une suprématie. En effet, la nature de nombreux biens d’intérêt public qui composent le patrimoine culturel peut jouer un rôle important dans les relations privées pour leur exploitation économique et, selon leur nature, ils peuvent être aliénables, saisissables et soumis à prescription.

 

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